Hygiène (Catherine Bossard)

L’hygiène au fil du temps

Catherine BOSSARD

 

La préhistoire : rien ne vaut l’expérience

Il est difficile de faire le point sur la notion d’hygiène en ces temps reculés mais on peut penser que seule l’expérience comptait.
Les survivants faisaient les déductions utiles à leur sauvegarde : le précepte « ne pas manger tout ce qui tombe sous la main » devait être appliqué à la lettre, donnant naissance aux prémices de l’hygiène alimentaire.
Quant aux autres types d’hygiène, ils apparaîtront bien plus tard.

L’antiquité : Bains, crèmes et volupté

Bains à température variable, massages, crèmes parfumées et rince-doigts : l’hygiène des grecs et des romains avait un sens purificateur mais évoquait aussi la volupté.
Attentifs aux soins corporels, les romains passaient beaucoup de temps à se baigner dans les thermes collectifs.
Cela sous les bons auspices de la Déesse Hygie, protectrice de la santé, et à qui nous devons le mot actuel « hygiène ».
Ces coutumes s’étendaient jusqu’en Orient avec les bains turcs ou les hammams qui aujourd’hui encore mêlent rite de purification religieux, plaisir et hygiène.

Vers 800 avant JC, le poète HOMÈRE : Dans l’odyssée, ULYSSE désinfecte une maison avec du dioxyde de soufre.

Un peu plus tard les grecs utilisent de nombreux produits ou essences naturels comme les clous de girofles pour limiter la prolifération des germes.

Vers 500 ans avant JC, le médecin hindou SUSRUTA recommande « aux chirurgiens » de nettoyer et désinfecter les salles qui servent aux opérations avant et après toutes opérations par l’émission de vapeur.

Les lessives sont faites avec des cendres et de graisse saponaire, argile à foulor et de divers détergents minéraux.
Le mot « savon » vient du mot « sapo » qui désignait la préparation moussante utilisée par les Germains et les Celtes (mixture à base de graisse de chèvre ou de suif et de cendre de bouleau et de jus d’herbes colorantes)

Moyen âge : propre sur soi et « tout-à-la rue »

A cette époque, le pot de chambre, qui est apparu sous les romains, est encore de rigueur et on fait ses besoins parfois devant tout le monde !
On se baigne beaucoup en ville où l’hygiène corporelle est très présente. Les bains publics ou étuves permettent aux hommes de se retrouver et de se détendre dans un réel lieu de plaisir.
On en dénombrait 25 pour 250 000 habitants, à Paris en 1292.

De même, partout en Europe, on voit fleurir la mode du bain, et les latrines, vestiges de la présence romaine. Mais petit à petit, les bains publics deviennent des lieux mal fréquentés…

En ville, on se parfume, on se coiffe, et il existe des blanchisseurs. Dans la rue, l’hygiène est moins flagrante : c’est l’époque du « tout-à-la rue » !

Excréments et eaux usées s’y mêlent et nagent dans les rigoles se trouvant au centre des rues…
Avec les grandes maladies contagieuses (pestes…) la notion d’organismes invisibles se développe pour propager ces maladies.

La seule mesure de protection efficace est l’isolement.
Le savon est produit à partir d’alcali (alcali est un mot d’origine arabe, désignant la plante maritime que nous appelons soude).
Apparition des 1ères pratiques d’hygiène renommées venant d’Espagne ou d’Italie ‘savons de Naples, Alicantes…) ainsi que l’utilisation des cotons et de l’alcool.

Renaissance : le corps « protégé » sous la crasse

L’hygiène marque une pause en particulier à cause d’une perception différente du corps – il est tabou – et de l’apparition de maladies très graves telles que la syphilis, qui se propagent sans qu’aucun scientifique ne puisse réellement expliquer pourquoi.

On croit alors que l’eau pénètre dans le corps par les pores de la peau et transmet la maladie.

La peste fait aussi beaucoup de ravage en occident.

Aussi pensait-on qu’une couche de crasse assurerait une protection contre les maladies. La toilette corporelle devient donc sèche.

On utilise uniquement un linge propre pour frotter les parties visibles du corps ! L’hygiène vestimentaire se développe : plus on est riche, plus on change de vêtements.
Un habit blanc qui était devenu noir était bien perçu : il avait capté la saleté…

Donc, plus besoin de se laver…! Cette évolution semble s’appliquer à l’occident en général.

Paradoxalement, l’eau est utilisée à des fins thérapeutiques: associée à des plantes pour le bain ou en décoction…

Le XVIIIème siècle voit réapparaître les latrines collectives dans les maisons, et l’interdiction de jeter ses excréments par la fenêtre, chose qui était devenue pratique courante !

De même, on incite les habitants des villes à jeter leurs ordures dans les tombereaux affectés à cet effet.
Parallèlement la chimie avance : en 1774, le chimiste suédois Carl Wilhem Scheele découvre le chlore.

Les scientifiques découvriront plus tard que mélangé à l’eau, il blanchit les objets (Claude Berthollet) et mélangé à une solution de soude, il désinfecte (Antoine Labarraque).

La renaissance voit par ailleurs l’essor de l’alchimie.
Les produits à base de végétaux sont remplacés par des produits fabriqués chimiquement (antimoine, arsenic, mercure…)
L’allemand PARACELSE améliore le traitement des plaies par des pansements d’émollients non douloureux à base de mercure et de cuivre.

Au 16ème siècle.

En 1537, pendant la bataille de Pas de Suse, le chirurgien français Ambroise PARÉ abandonne l’huile bouillante et panse les plaies avec un mélange de jaune d’œuf, d’huile de rosat et de térébenthine.


Il obtient le taux d’infection le plus bas pour l’époque.
En 1546, le médecin italien Girolamo FRACASTOR, distingue 2 modes de contamination :
-directe (d’individu à individu),
-indirecte (due à la « seminaria insenbilia » transportés par l’air, les vêtements, les objets…

il incite les autorités administratives à établir en cas de contagion des systèmes de quarantaine.

Au milieu du 16ème siècle, on commence à décrire les 1ères maladies infectieuses (scarlatine, grippe).
Les médecins estiment que les épidémies résultent de l’air malsain qui exerce une influence sur l’organisme.
A cette période, on remplace les corps gras animaux par les corps gras végétaux.

On emploie de la chaux pour transformer les carbonates alcalins en potasse et en soude. Le savon sera mou (si on utilise de la potasse) ou dur (si on emploie de la soude)

Au 17ème siècle.

En 1684, le hollandais Antonio VAN LEEUWZNHOEK observe pour la 1ère fois au microscope des micro-organismes. Il constate que le vinaigre tue les « animacules ».

Au 18ème siècle.

Vers 1785, Louis XVI signe une ordonnance royale obligeant de n’avoir q’un seul malade par lit et charge Jacques René TENON en 1795, d’étudier une réforme sanitaire dans les hospices du royaume pour améliorer l’état sanitaire des aliénés.
En 1789, le chimiste français Claude BERTHOLLET découvre que l’eau de javel a des propriétés décolorantes et qu’elle blanchit des fils et des toiles.

Ce n’est qu’en 1793 que, le chirurgien- major Pierre François PERCY utilisera des dérivés du chlore contre la pourriture à l’hôpital.

XIXème siècle : urbanisme et sciences sont à l’œuvre

En 1809, le professeur MASSUYER emploie des dérivés du chlore pour la désinfection de l’air.
En 1811, le pharmacien français Bernard COURTOIS découvre l’iode.
En 1819, le médecin genevois COINDET découvre l’intérêt de l’iode comme antiseptique.
En 1825, le pharmacien chimiste Antoine LABARRAQUE

C’est le siècle du renouveau de l’hygiène :
– Les travaux d’urbanisme se développent. Ils intègrent la création de fosses sceptiques et prévoient un mécanisme d’évacuation des eaux usées jusqu’à l’égout pour toute nouvelle construction.
C’est le début du tout à l’égout.

– Les eaux usées, riches en azote, sont utilisées pour faire fructifier la terre tout en se purifiant (principe de nitrification).

C’est l’apparition des premiers champs d’épandage.
– Alors que les « water-closet » anglais fleurissent dans toute l’Europe, les premières expositions sur l’hygiène ouvrent leurs portes.

Du côté des sciences, les progrès sont considérables et relèguent au placard les vieilles croyances, en premier lieu celle de la « génération spontanée » grâce aux expériences de Louis PASTEUR.

A mesure que l’on découvre de nombreuses bactéries et leur rôle clé dans les infections connues, on comprend qu’il est possible de s’en protéger.

En filigrane se dessinent les premières mesures d’hygiène : le lavage des mains et la toilette quotidienne à l’eau et au savon.
Elles seront relayées à l’échelle internationale par les médecins et les politiciens de l’époque, qui se retrouvent lors de congrès.
Un but essentiel : vaincre les maladies contagieuses, peste, choléra, typhoïde, typhus, fièvre jaune.

C’est l’époque des quarantaines. Ce sont aussi les médecins, personnages influents, qui observent les comportements, les infrastructures (marché, abattoir, caniveaux…) et qui proposeront d’en améliorer l’hygiène.
En 1839, le chimiste allemand Christian Fredrich SCHÖNBEIN découvre l’ozone.
En 1847, Ignac Semmelweis constate que des mesures d’hygiène limitent la mortalité par fièvre puerpérale (post-accouchement) et l’écossais Joseph Lister inspiré par les travaux de Pasteur, utilise l’antisepsie en chirurgie.
L’hygiène synonyme de prévention est lancée. Toilette et vaccination en seront les maîtres mots.
En 1853, PRAVAZ crée la 1ère seringue. Elle ne sera utilisée qu’en 1856 par WOOD.
De 1860 à 1864, le chimiste français Louis PASTEUR Démontre que la génération spontanée des germes n’existe pas.

En 1863, le français J. LEMAIRE préconise l’acide phénique (isolé des huiles de goudron de houille) pour lutter contre le développement des germes.
En 1867, Joseph LISTER, utilise l’acide phénique pour prévenir l’infection à la suite d’une fracture ouverte de jambe. La mortalité baisse de 60% à 15%.
En 1875, pour la 1ère fois, le chirurgien français Félix TERRIER n’utilise que des instruments chirurgicaux qui ont été préalablement flambés ou portés à ébullition.
Ce n’est qu’en 1880, que les premiers stérilisateurs à vapeur (autoclave) et à chaleur sèche (poupinel) apparaissent.
En 1878, le physicien irlandais John TYNDALL démontre l’efficacité de la filtration pour produire de l’air stérile.

En 1882, le médecin allemand Robert KOCH découvre le bacille de KOCH. Après l’avoir cultivé, il en extrait la tuberculine. Pour cette découverte, il obtient le prix Nobel de médecine en 1905.

En 1885, le chirurgien écossais William Watson CHEYNE définit les 4 principes à respecter pour éviter l’infection opératoire :
-lavage des mains du chirurgien,
-stérilisation des instruments et du matériel de suture,
-désinfection du site opératoire et protection par des champs,
-réduction du nombre de germes présents dans l’environnement.

C’est également en 1885 que le chirurgien William S. HALSTEAD porte pour la 1ère fois des gants chirurgicaux.

En 1889, G.CORNET et C.FLUGGE étudient la transmission de la tuberculose dans l’air. Ils pressentent l’importance des poussières et des « droplets » comme support de l’infection aérienne.

En 1892, ARON SAN et BLUM utilisent le formaldéhyde pour désinfecter des locaux.
En 1893, à Oudshourn en Hollande, l’ozone est utilisé pour la 1ère fois pour désinfecter l’eau de boisson.
En 1894, TRAUBE découvre les propriétés désinfectantes des hypochlorites (javel) pour le traitement de l’eau.

XXème siècle : hygiène rime (presque) avec comportement

Les conférences internationales de la fin du 19ème aboutissent à la mise en place d’un office international d’hygiène publique, qui s’installe à Paris en 1907, et qui deviendra l’OMS.
(Organisation mondiale de la santé) en 1946.
Une lutte et une coopération s’engagent contre les maladies infectieuses.

Doucement, la notion d’hygiène s’ancre dans les esprits grâce notamment à son introduction dans les écoles. Cela permet que cette notion s’étende à toutes les couches de la société.
Le changement est lent car il faut lutter encore et toujours contre les croyances et les habitudes, l’idée du propre et du sale…
Les progrès en biologie vont permettre de démonter les mécanismes de contaminations, d’infection…

Selon les pays, les habitudes varient mais l’hygiène s’imposera partout. Il semble encore aujourd’hui que des progrès restent à faire : le lavage des mains au sortir des toilettes ne semble pas toujours aller de soi !!
En outre, si les mesures d’hygiène ont permis de circonscrire de terribles maladies comme la syphilis, la peste, le choléra ou la tuberculose, l’époque moderne voit resurgir d’anciens fléaux (la tuberculose) ou en apparaître de nouveaux (le SIDA).

Une hygiène nouvelle ou renouvelée reste donc à inventer pour le XXIème siècle.

En 1902, P.C FREER et F.G NOVY décrivent les propriétés de l’acide peracétique.
En 1903, RIDEAL et WALKER décrivent une méthode pour comparer les désinfectants entre eux :
« mesure du coefficient phénol ». Cette méthode de mesure restera en vigueur jusqu’en 1980, elle sera remplacée par les normes N.F.
En 1904, le microbiologiste allemand G.WIRGIN montre que les alcools aliphatiques sont bactéricides, ce pouvoir augmente avec le poids moléculaire.
En 1908, EINHORN et GOTTLER obtiennent le premier composé à base d’ammonium quaternaire et l’utilisent pour son pouvoir désinfectant.
En 1915, le médecin chimiste Henry DAKIN met au point un antiseptique (à base de chlore) pour le champ opératoire, les plaies ouvertes ou infectées. Cet antiseptique sera largement utilisé pendant la 1ère guerre mondiale.

En 1928, Alexander FLEMING Découvre le 1er antibiotique tiré du champignon « pénicillium notatum » (la pénicilline).

Egalement en 1928, R.T COTTON et R.C ROARCK décrivent les propriétés insecticides de l’oxyde d’éthylène.
En 1930, apparaissent les 1ers détergents de synthèse sans huiles végétales, ni graisses animales.

En 1938, P.B PRINCE montre que les germes de la peau se répartissent en 2 catégories : les résidents et les transitoires ; et qu’il n’est pas possible de « stériliser » la peau.

En 1950, ROSE et SWAIN synthétisent pour les laboratoires I.C.I la chlorexidine.

Vers 1950, le médecin sud-africain Max THEILER isola le virus de la fièvre jaune et mit au point le vaccin anti-amaril.

Il obtient le prix Nobel de médecine de 1951.

En 1956, H. SHELANSKI et CANTOR réussissent à complexer l’iode dans un polymère : la polyvinyl pyrrolidine iodé (bétadine).

En 1962, R.E PEPPER et E.R LIBERMAN décrivent les propriétés désinfectantes du glutaraldéhyde.

En juillet 1969, la NASA décide de désinfecter la cellule d’Apollo XI avec de l’eau de javel et des iodophores (polyvinil pyrrolidone iodé) au départ du voyage lunaire ainsi qu’à son retour, pour éviter toutes inter- contaminations Terre/lune et vice-versa.

En 1981, l’AFNOR publie les 1ères normes pour déterminer l’activité bactéricide, fongicide et sporicide des antiseptiques et des désinfectantes miscibles à l’eau. Ces méthodes remplacent les mesures du coefficient phénol.
Depuis l’apparition des puissants antibiotiques (sulfamides, pénicillines…), il y a eu un net relâchement des mesures d’hygiène.
A partir de 1970, arrivent des bactéries Muti-résistantes aux antibiotiques et l’accroissement des infections nosocomiales.

Ce n’est que dans les années 80, qu’en France l’hygiène redevient une préoccupation médicale et paramédicale.

Un ensemble de dispositions sont prises pour maîtriser l’augmentation des infections nosocomiales et limiter la résistance aux antibiotiques.
Par exemple en 1988, tous les hôpitaux publics doivent mettre en place des comités de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN).

L’hygiène devient l’un des marqueurs de la qualité des soins et retrouve ainsi toute sa valeur.

Catherine BOSSARD- Déléguée régionale de l’ATD
Avec la participation de Corinne MEYER- Infirmière Hygiéniste du Centre Hospitalier de COMPIÈGNE

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